CE PÈRE QUI NE PARLAIT QUE SI PEU...
J'aimerais te revoir, pour pouvoir te dire des choses toutes simples, que nous ne sommes jamais dites, de trop de pudeur, du manque de temps, de ce trop peu de compréhension qu'ont les enfants pour leurs parents, de ces barrières invisibles qui clivent autant les relations...
Je voudrais voir ton regard, s'enorgueillir de ton rejeton, tellement décrié, sujet à toutes les brimades, qui ne savait pas écouter, non plus qu'entendre raison, ce petit bout de toi qui en a fait voir de toutes les couleurs, à ceux que par simple délicatesse tu te devais de ménager.
Et j'aurais pris le temps pour tout ce que tu avais à me dire, pour ce nous deux qui me manque bien plus que je ne le supposais tantôt, pour ne pas éprouver ce vide sans fond, ce silence qui fait autant de bruit en moi à présent, même s'il s'est passé déjà bien des années.
Ma vie se serait mise entre parenthèses, pour déceler ce qu'il y avait de bien profond dans la tienne, ce que tu n'as jamais pris la peine de me dire, car le jour ou tu as eu le temps pour ce faire, j'étais englué dans la mienne, sans bien comprendre que je reproduisais tes erreurs.
Les années se suivent, faisant de tes silences des paroles, je conduis ma vie d'une façon qui t’eut convenu, dans le don de soi pour la famille, le nom et surtout le clan qui t'importaient tellement, qui étaient ta raison de vivre, ce que je te reprochais très souvent, je me souviens.
Je suis devenu toi sans le vouloir, même en voulant te fuir je n'ai réussi qu'à étrangement te copier, dans ta manière d’être et de chercher à paraître, dans une petite vanité plaisante, sympathique à maints égards, tant tu étais parti de loin, sans même l'image d'un père.
Tu t'es fait homme pour sécher les larmes de ta mère, l'épauler dans le destin d'une veuve avec huit enfants, dans un pays qui abîme plus que la pauvreté, une région dont la géographie ne garde aucune trace, un trou perdu ou même les échos tendent à se perdre.
Tu as vécu pour les tiens, parfois même en négligeant tes propres enfants, je t'en ai voulu avant que de savoir à quel point nous sommes livrés à nos destins, ne nous appartenant que si peu, au regard de ce que nous avons à réaliser dans le laps de temps qui nous est imparti.
Au crépuscule de la vie, je découvre à quel point tu as du te sentir seul, dénué de tout ce que pouvait souhaiter un homme, tout entier tourné vers le devoir viscéral qu'impose le fait de suivre un sentier de sueur et de larmes, sans ne jamais tenir compte de sa propre personne.
Il m'arrive d'avoir mal à toi au détour d'un reportage sur les migrants, car c'était vous il y a un demi siècle, en proie à une guerre qui ne disait pas son nom, un pays qui faisait subir aux étrangers, ce qu'il avait subi lui-même, qui êtes restés dignes et sans la moindre haine malgré tout.
De ta bouche jamais je n'ai entendu des choses frontales, qui eussent pu exacerber un ressentiment à l'encontre de ce pays, dans lequel nous vieillissons auprès de nos enfants, de nos amis hier encore ces autres qui te faisaient peur, dans des villes devenues les nôtres.
Les années nourries de tes silences m'ont grandi, tu étais là sans l'être vraiment, comme lorsque tu étais en vie mais n’interférais jamais dans mes décisions, tant tu me sentais rebelle à toute forme de commandement, comme si tu avais décidé de laisser faire la vie à ta place.
Je te reverrai dans un grand éclat de rire, car tu avais raison sur toute la ligne, avoir un but plus grand que soi permet de se dépasser, d'aller au devant d'un destin qui peut faire peur si l'on y réfléchit bien, mais le premier pas appelant un second, un jour on se découvre tellement plus grand...
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