L'ELOIGNEMENT

 

   Maman,


  Je ne t'aie jamais fait pleurer ou peut-être que tu te cachais de moi, mais si souvent je t'ai sentie en colère, profonde et sourde elle creusait ton visage, ternissait de gris tes yeux qui devenaient si durs qu'ils me poursuivaient jusqu'au fin fond de mes nuits, et même en ces mois sans toi.

Tu voulais me briser, faire en sorte que j'obéisse à tes injonctions, qu'elles soient injustes n'était pas ton souci, il fallait juste que j'obtempère et cela m'était impossible, il était inconcevable pour toi que si forts que soient tes coups j'en étais arrivé malgré moi à ne plus les craindre.

Parce que nous nous sommes endurcis très tôt mon frère et moi, à la haine des autres et à la tienne pour nous qui étions ce qui t'obligeait à une servilité de chaque instant et depuis toujours, tellement tu étais seule devant l'adversité et la solitude que t'avait imposée une bien triste destinée.

J'ai fait un long cheminement avant de comprendre que tu étais autre chose que la simple épouse ou la maman, la sœur ainée pour ta nombreuse fratrie, le soutien d'une mère veuve trop tôt, et la misère en embuscade pour tous ceux alentours autant que pour vous tous d'ailleurs en ces temps là.

J'aimerais retrouver le refuge qu'étaient les premiers yeux qui ont accompagné ma venue sur terre, malgré l'océan d'amertume en eux ils étaient d'une beauté majestueuse, ils éloignaient mes peurs en occultant les leurs, conspuaient le destin qui depuis toujours les étouffait  quoiqu'ils fassent.

Mais je te sais aller une année sans nous, légère comme les embruns de l'été qui t'ont emportée si loin que ce n'est qu'un juste retour vers là d'où tu es partie pour nous  essayer à une vie meilleure, quitte à faire hurler de douleur ta mère qui avait eue la même vie avant toi aux tréfonds du monde.

A notre mère à onze mois de nous.

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