MON ONCLE

 

    Le 28 juin 2020

 Je pense souvent à toi, à la vie que tu n'as pas eu le loisir de vivre et il va tellement de soi que vous restez à tout jamais mon père et toi, mes référents ultimes, ceux qui ont fait mentir le destin, en nous permettant une vie bien meilleure, en nous protégeant avec un soin jaloux.

Né dans cette terre de liberté qu'est la montagne qui t'a donné le sens de l'effort et l'esprit d'indépendance, tu as acquis la rudesse et la férocité des montagnards, fait tiens les archaïsmes nombreux, appris le patient labeur qui fait les hommes.

Je ne puis aller sur les chemins abrupts et parfois inconnus de l'histoire des miens sans croiser la route du dinosaure, délinquant ou poète mais toujours magnifique que tu étais, que je n'ai pas eu vraiment le loisir de vivre, car parti trop tôt.

Tu ressemblais tant aux contraintes de l'altitude, du relief et du climat qui ne laissaient guère le choix, à ces lieux de contraintes et de dangers, ces monts affreux ou sublimes, ce domaine des croyances et des superstitions, que tu as senti très tôt qu'il fallait fuir.

Tu as vécu bien des périodes de turbulences, qui valorisent l'agressivité et le courage, celles là mêmes qui ont fait naître en toi la loyauté collective, l'esprit du sacrifice quant à la sylve impénétrable dont il fallait que tu nous éloignes, tellement tu ne nous voyais pas y vivre.

Ces montagnes terribles, ou la neige, le froid, les pentes sont des obstacles, monde barbare et humiliant, ou les confrontations physiques sont violentes, l'univers fermé et replié sur lui même dans lequel il s'agissait de vivre en autarcie, afin de quelque peu l'humaniser.
         




Les hauteurs des montagnes, les profondeurs des gouffres, la peur qui saisit au passage des cols, tu ne les as jamais complètement oubliées, je les ai toujours vues au fond de tes yeux, telles de fugitives absences, quant tu me racontais le pays dont tu nous avais exilés.

Tempêtes, neige précoce, gelées tardives, pluies diluviennes, volonté farouche de s'approprier des espaces vierges et inexplorés, ont occupé tes jeunes années d'orphelin de père, aîné d'une fratrie nombreuse dont bon nombre était des filles, mais tous en bas âge.

Hier je n'avais pas la maturité nécessaire pour te dire ces choses là, je me contentais de boire tes paroles, d'engranger des récits qui peuplent encore ma mémoire, de te regarder tel un géant dans les yeux de l'enfant que j'étais, mais que tu aimais assez pour lui offrir de ton temps.

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